La chaîne Le Mock a récemment mis en ligne une vidéo très intéressante à propos de l’évolution de la vulgarisation sur YouTube. Réalisée dans le cadre d’une résidence de création organisée au Quai des savoirs, celle-ci donne la parole à plusieurs vidéastes vulgarisateurs qui partagent leurs expériences et leurs réflexions.
Parmi eux se trouve Clothilde Chamussy, créatrice de la chaîne Passé Sauvage, qui, à 18’05, fait cette remarque qui m’a accrochée l’oreille : « La vulgarisation ça se place au milieu, entre l’activité artistique et l’activité de recherche. »
En tant que fille d’un auteur compositeur interprète et d’une danseuse devenue plasticienne puis graphiste, m’étant moi-même essayée avec plus ou moins de succès au piano, au violon, à la danse, au chant et au théâtre et ayant voulu me professionnaliser dans la recherche avant d’opter pour la vulgarisation… je dois dire que ça me parle !
En y réfléchissant il y a sans doute un parallèle à faire entre ma nette préférence artistique pour la pratique du théâtre, qui n’a de sens que présenté sur scène, et mon attirance pour le contact direct du public en tant que vulgarisatrice. Avec dans les deux cas l’envie d’aller bidouiller les rouages en coulisses, que ce soit en faisant de la mise en scène ou en gérant des projets de médiation.
Mais on s’écarte du sujet que je voulais aborder aujourd’hui ! Car la réflexion de Clothilde m’a aussi rappelé les nombreuses initiatives qui essayent de mêler harmonieusement l’art et la science, qu’on regroupe généralement sous l’appellation « art et science » et qui, pourtant, ne sont pas toujours des exemples de vulgarisation réussie.

Mes goûts personnels font que je suis très attirée par ce type de projets, et je suis généralement déçue. Sans doute parce que je suis exigeante : j’attends d’un dispositif art et science qu’il mette ces deux facettes à égalité, ce qui constitue un équilibre délicat et difficile à atteindre.
Dans la majorité de ce que j’ai pu voir, la science avait servi de source d’inspiration à l’art mais le rendu était essentiellement artistique, sans explication permettant d’y ajouter une dimension pédagogique. Ce type d’œuvre reste évidemment intéressant, et certaines de celles que j’ai vues m’auraient sans doute beaucoup plus enthousiasmée si elles ne m’avaient pas été présentées avec l’étiquette « art et science ». Mais je les trouve terriblement frustrantes : j’ai toujours envie d’en savoir plus sur la science à l’origine de l’œuvre.
A l’inverse, mais c’est plus rare ou en tous cas moins mis en valeur, j’ai aussi vu des projets art et science dans lesquels la dimension pédagogique était très présente mais le rendu artistique plutôt brouillon. C’était souvent des initiatives portées par des chercheurs ou des laboratoires, et à titre personnel je les trouve plus intéressantes que celles dans lesquelles l’art a pris le pas sur la science. Essentiellement parce que dans le premier cas il suffirait de retravailler un peu les finitions pour obtenir un résultat équilibré entre art et pédagogie alors que dans le second cas l’entièreté de l’œuvre serait généralement à repenser pour pouvoir y inclure du contenu scientifique intelligible par le public.
Mais assez critiqué ! Souligner les problèmes récurrents n’est qu’une façon parmi d’autres de trouver des pistes d’amélioration. On peut aussi mettre en valeur les projets qui fonctionnent bien et essayer d’en tirer des leçons. Je vous propose donc une petite sélection d’initiatives art et science que je trouve réussies et j’en profite pour dire qu’évidemment, tout ceci, critiques négatives comme positives, dépend nécessairement des goûts et des attentes de chacun.

En préparant ce billet je me suis rendu compte qu’en fait il y a énormément de dispositifs art et science que j’apprécie, ce qui a eu deux conséquences. La première a été de me décider à séparer ce qui devait ne constituer qu’un article en une série de recommandations thématiques, et la seconde de me faire un peu revenir sur mon pessimisme initial.
Il est finalement faux de dire que la majorité des projets art et science que j’ai vus étaient décevants. Mais la plupart de ceux qui m’ont convaincue ont un point commun : ils ne revendiquent pas l’étiquette « art et science » et je n’ai donc pas pensé à eux tout de suite quand j’ai commencé à réfléchir à ce sujet.
Est-ce parce que les personnes (ou groupes de personnes) les mieux placées pour allier talent artistique et talent de vulgarisation trouvent ça tellement naturel qu’elles ne pensent pas à identifier explicitement cette démarche ? Parce que beaucoup de ces initiatives sont plutôt détachées du milieu de la culture scientifique, où est généralement utilisée l’appellation « art et science » ? Je n’en sais honnêtement rien et je serai ravie de découvrir vos réflexions à ce sujet !
Mais, puisque les projets réussis sont en fait nombreux et cet article déjà assez long, entamons les recommandations ! Mes critères personnels pour considérer un dispositif art et science comme réussi sont les suivants :
– le rendu artistique est bon (ce critère à lui seul explose déjà tous les compteurs possibles de subjectivité, désolée, mais ça arrive vite quand on parle d’art)
– du contenu scientifique est transmis au public
– ce contenu est fiable
– ce contenu est intelligible
Si cela correspond à votre propre grille de lecture, les projets qui m’ont plu devraient vous plaire aussi !
Comme nous nous apprêtons à entamer 2020, l’année de la bande dessinée, j’ai choisi de commencer mes partages par cette discipline-là. Elle fournit de nombreuses initiatives art et science de qualité, certaines étant gratuites et accessibles en ligne, d’autres susceptibles de faire de beaux cadeaux de Noël.

Une des grandes références « sciences et BD » est incontestablement Marion Montaigne et notamment son blog Tu mourras moins bête (mais tu mourras quand même !). Depuis plusieurs années son Professeur Moustache y vulgarise des sujets de toutes les disciplines, avec une bonne dose d’humour et pas mal d’histoire des sciences. En plus des planches en ligne, ce blog a donné lieu à 5 bandes dessinées et à une série de vidéos, il y en a pour tous les goûts.
Marion Montaigne est également l’autrice de la bande dessinée « Dans la combi de Thomas Pesquet », qui retrace le parcours de notre astronaute national avec, comme à son habitude, plus de sincérité que de glamour. Et ça fait du bien !
Dans les exemples de BD de vulgarisation très réussies, on peut également citer l’intégralité de la collection Octopus, lancée relativement récemment. De l’exploration martienne à la philosophie, elle ouvre ses pages à des créateurs différents pour chaque ouvrage avec plusieurs binômes dessinateur/vulgarisateur de qualité.
Parmi mes coups de cœurs personnels se trouvent aussi la série Histoires extraordinaires & sources d’étonnement, scénarisée par Patrick Baud aka Axolot, Economix, une histoire très touffue de l’économie, ainsi que les ouvrages réalisés par Peb & Fox à partir de portraits de doctorants. C’est-à-dire Sciences en bulles, livre édité pour la Fête de la science 2019 et téléchargeable gratuitement sur internet, et Ma thèse en 2 planches, reprenant 33 portraits de doctorants ayant participé au concours Ma thèse en 180 secondes à l’Université de Lorraine.
Si vous voulez aller plus loin dans votre exploration du monde de la recherche par la bande dessinée, vous pouvez pousser les portes d’un laboratoire et aller découvrir Material & Methods ! Ce manga, créé et autoédité par une Docteure en biologie (dont vous avez déjà vu au moins un dessin si vous avez regardé l’en-tête de ce site) suit un nouvel arrivant dans le milieu de la recherche et aborde aussi bien le fonctionnement des laboratoires que la biologie moléculaire. Si vous voulez voir ce que ça donne c’est facile : les deux premiers tomes sont consultables gratuitement en ligne.
Enfin, si la recherche vous intéresse mais que votre truc c’est le terrain plutôt que la paillasse, je vous recommande chaudement Les mésaventuriers de la science. Un livre aussi intéressant que son histoire ! Car tout a commencé par l’apparition du hashtag #FieldWorkFail sur twitter, via lequel des chercheurs partageaient des anecdotes de situations compliquées voire d’énormes ratés arrivés sur le terrain pendant leurs travaux de recherche. Parmi les personnes qui ont trouvé ce contenu aussi hilarant qu’inspirant, il y a eu Jim Jourdane, un dessinateur qui a commencé à illustrer une partie de ces histoires (certains dessins sont d’ailleurs accessibles en ligne). Finalement, le succès rencontré auprès du public a donné lieu à la publication d’un livre qui a sa place dans toutes les bonnes bibliothèques !
Voilà déjà une bonne liste de bandes dessinées alliant efficacement art et science, mais je suis sûre qu’elle n’est pas exhaustive. N’hésitez pas à partager vos propres recommandations en commentaires ! De mon côté je vais m’arrêter là pour aujourd’hui et je vous donne rendez-vous au prochain billet… pour parler de vulgarisation par la danse et la chanson.