Fin novembre, Bolchegeek (et La petite voix) ont sorti une vidéo très intéressante sur les problèmes dans la façon dont les créateurs web parlent de cinéma. Elle analyse l’influence des plateformes, des modes de consommation de contenus et des contraintes des créateurs sur différents formats utilisés pour traiter les sujets ciné et propose des réflexions pour faire mieux. Si vous créez des contenus web, même s’ils n’ont pas de lien avec le cinéma et qu’ils ne sont pas diffusés sur YouTube, je vous la recommande.
De mon côté, je voulais réagir à la vision de la vulgarisation présentée dans cette vidéo (et également évoquée, entre autres réflexions sur l’opposition entre culture populaire et culture légitime, dans cette autre intervention de Bolchegeek). La citation qui m’a accroché l’oreille est à environ 33 minutes :
« La différence, à mon avis, avec la vulgarisation, c’est que l’essai n’a pas comme objectif premier de rendre accessibles des connaissances savantes, de les transmettre de manière verticale des initiés aux néophytes, ce qui relève plus de la médiation. D’ailleurs le terme « vulgariser » a malgré lui cette connotation un peu négative, « faire descendre de nobles savoirs vers le bas peuple », ce qui reste un casse-tête pour les vulgarisateurs, à qui on reproche parfois de détériorer ces savoirs pointus en les simplifiant, de les avilir en les rendant accessibles. »
Ces quelques phrases abordent plusieurs points qui sont au centre des discussions et des études portant sur la vulgarisation, pour certains depuis que le concept de vulgarisation existe. Mon but aujourd’hui n’est pas de faire une synthèse générale sur le sujet (mais si ça vous intéresse, je vous mets quelques liens en fin d’article). Je vais juste revenir sur une conception de la vulgarisation que je trouve beaucoup trop répandue, notamment chez les vulgarisateurs autodidactes, alors qu’elle est très critiquée par la recherche en sciences de la communication et par certains professionnels de la médiation scientifique depuis des décennies. C’est la vision que présente Bolchegeek, qui consiste à considérer la vulgarisation comme une transmission verticale, des experts aux néophytes.
Ce modèle vertical descendant est très fréquent. Quand vous regardez un documentaire, que vous lisez un magazine, que vous écoutez un podcast, que vous visitez une exposition, que vous visionnez une vidéo en ligne ou que vous assistez à une conférence, vous recevez un contenu qui émane d’une figure d’autorité (plus ou moins légitime), dont le savoir descend jusqu’à vous. Et, même sans être friands de vulgarisation (auquel cas vous vous êtes perdus pour arriver jusqu’à ce blog), on a tous et toutes été confrontés à cette démarche puisque, la plupart du temps, c’est comme ça que fonctionne l’enseignement.

Moi-même, j’ai commencé la vulgarisation pendant ma thèse, en co-concevant et animant des ateliers pour la fête de la science, qui étaient très ludiques et laissaient beaucoup de place aux interrogations des enfants, mais s’inscrivaient complètement dans une diffusion verticale du savoir : j’avais des connaissances à transmettre à des enfants, qui ne les possédaient pas. Et, accessoirement, l’objectif premier de leur montrer que la science c’est cool et qu’on fait des choses intéressantes dans les laboratoires. Ce qui était une façon de légitimer mon propre travail de chercheuse.
Car, même si je n’en avais pas conscience à l’époque, le modèle de transmission descendante du savoir repose sur un certain nombre d’implicites. Tout d’abord il suppose l’existence d’un fossé, creusé notamment par les progrès des connaissances et des techniques, qui séparerait les savants du public. Fossé qu’il serait nécessaire de combler, pour différentes raisons pas toujours réellement identifiées par les vulgarisateurs. Deux motivations reviennent cependant assez régulièrement aujourd’hui : l’importance de rendre compte aux citoyens des recherches menées avec de l’argent public (c’est-à-dire leur argent) et la nécessité d’(in)former le public pour le rendre moins ignorant, donc lui permettre de prendre de meilleures décisions. Pour combler le fossé entre les spécialistes et leur audience, deux populations qui ne parlent plus vraiment le même langage, le médiateur/vulgarisateur peut servir de traducteur.
Note : j’utilise ici un masculin générique mais il est intéressant de noter que, si les hommes sont majoritaires dans la vulgarisation sur YouTube (82% parmi les vulgarisateurs français, d’après cette étude réalisée en 2020 et vulgarisée ici en vidéo, à laquelle j’ai contribué), sur le terrain, les médiatrices sont plus souvent des femmes (66% d’après cette enquête réalisée en 2013-2014).
Et on peut étendre une bonne partie du raisonnement présenté ici au travail des journalistes, qui présente un certain nombre de similitudes avec la vulgarisation.
Il ne faut pas grand-chose pour que cette vision descendante de la vulgarisation devienne carrément condescendante, et je ne suis pas étonnée que Bolchegeek ne s’y identifie pas du tout. Elle revient en effet à considérer qu’il y a d’un côté une élite, dont les savoirs sont importants et méritent d’être diffusés, et de l’autre une majorité de gens ignorants, qu’on doit abreuver de ces savoirs légitimes, pour son propre bien. Le nom donné par les spécialistes à cette modalité de diffusion des connaissances véhicule bien cette asymétrie : ils parlent de « modèle du déficit ».
Sur YouTube, cette approche est parfois carrément matérialisée à l’écran, quand les vidéastes choisissent d’incarner deux personnages : un savant, qui explique, et un naïf, censé représenter les spectateurs, qui fait des remarques et pose des questions. C’est une technique qui était déjà utilisée dans des livres de science destinés au public au dix-septième siècle. Le dialogue crée du rythme et a une valeur pédagogique, mais ça reste un artifice de narration. Les deux personnages ne sont pas sur un pied d’égalité et les différences entre leurs styles vestimentaires ou leurs façons de parler sont parfois assez frappantes en termes de distinctions sociales…

Même si on supposait que le « modèle du déficit » porte bien son nom et qu’il y a vraiment un déficit à combler, l’impact de la transmission verticale descendante sur les objectifs poursuivis est pour le moins discutable. D’une part parce que les données montrent globalement qu’apporter des connaissances supplémentaires ne suffit pas à changer les comportements, les attitudes voire les opinions du public. (Il y aurait de quoi écrire un article entier là-dessus… Je n’ai pas trouvé de synthèse pratique à lire des recherches sur le sujet, mais l’introduction et la conclusion de cette publication renvoient vers un certain nombre de sources.) D’autre part parce que, s’il est important d’informer les citoyens sur les résultats de la recherche (c’était une de mes raisons pour passer de la recherche à la vulgarisation au départ : je considérais ça comme un devoir), cela reste un compte-rendu a posteriori. Les citoyens ne sont pas impliqués dans le choix des projets ou même des grandes thématiques à financer avec leur argent.
Pourtant, ils auraient leur mot à dire car, et c’est un des principaux problèmes du modèle du déficit : les citoyens ne sont pas des réceptacles vides. Il suffit d’animer un atelier avec des enfants et de les laisser s’exprimer pour constater qu’ils ont des tas de choses à partager : des connaissances, des présupposés, des anecdotes, des valeurs, des opinions, des questionnements… Qu’on retrouve évidemment chez les adultes, même si tous ne les expriment plus aussi ouvertement. A l’inverse, les experts ne sont experts que d’un sujet, plus ou moins large. Pour tous les autres, ils sont du côté « public » de la transmission.
Bref, il n’y a pas vraiment un fossé à combler, séparant les spécialistes des néophytes. Il y a des tas de petits fossés, qui séparent les humains les uns des autres, en fonction de leurs connaissances mais aussi de plein d’autres éléments de leurs expériences de vie. Et pour faire société malgré ça, c’est plus efficace de construire des ponts avec l’aide de chacun que de déverser unilatéralement des pelletés de savoir dans un trou.
Mais au-delà de mes envies d’envolées lyriques, revenons concrètement à notre sujet de départ. « Transmettre de manière verticale des initiés aux néophytes », pour reprendre les termes de Bolchegeek, revient donc à s’inscrire dans le modèle du déficit. Que ce soit conscient ou non, cette approche repose sur un sentiment de supériorité (« j’ai des choses intéressantes à dire ») et d’utilité (« ça vous apportera quelque chose de m’écouter »). Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : ce n’est pas forcément un mal ! On sait effectivement tous des choses que notre voisin ne sait pas, et inversement. Et on peut trouver intéressant d’en entendre parler, qu’il s’agisse d’une recette de gâteau ou du fonctionnement d’un réacteur thermonucléaire. Mais pourquoi ne pas aller un cran plus loin et discuter, au lieu d’écouter ?

Chaque support a ses contraintes, mais il est tout à fait possible d’imaginer des formats de vulgarisation à la fois moins descendants et moins verticaux. Pour les vidéastes web, si les vidéos YouTube restent nécessairement verticales, elles peuvent être construites en s’appuyant sur les commentaires du public, qui permettent de faire remonter (et plus seulement descendre) des informations, des interrogations ou des préoccupations. Les formats live, en plein essor sur Twitch, ramènent quant à eux de l’horizontalité et ouvrent de nouvelles possibilités créatives.
Dans la même idée, on peut ajouter des dispositifs interactifs amenant les visiteurs à influencer le contenu d’une exposition, ou déconstruire la trame linéaire d’une conférence pour faire intervenir les spectateurs, quitte à perdre le contrôle sur son déroulé. Il existe de nombreuses façons d’impliquer le public y compris dans ces formats qui restent par essence verticaux. Parce que oui, même avec beaucoup d’interactivité, une personne sur scène qui parle à un parterre de gens ou un vidéaste qui réagit à son chat sur Twitch sont dans une position de supériorité vis-à-vis du public.
Personnellement, quand on me sollicite pour des interventions autour de La folle histoire des virus, je trouve souvent les rencontres auteurs plus intéressantes que les conférences. Au lieu de dérouler un contenu préparé à l’avance, je me mets à la disposition des gens pour répondre à leurs questions et discuter avec eux. Quand l’échange est animé par quelqu’un qui a lu le livre, il y a certains sujets auxquels je m’attends, mais ça reste très différent à chaque fois. Et c’est ce que j’aime : ne pas savoir ce qui va se passer, réfléchir à de nouvelles choses et apprendre ce que les personnes qui ont fait l’effort de venir me voir ont à m’apprendre, elles aussi.
Les streameurs se reconnaîtront sans doute là-dedans, ainsi que les chercheurs qui participent à des dispositifs dérivés du speed-dating (qui se développent beaucoup ces dernières années, comme les speed-searching de la Nuit des chercheurs ou Declics, sur lequel j’avais travaillé il y a déjà 5 ans). Pour rester rigoureux dans ce genre d’exercice, il faut être lucide et transparent sur les limites de ses connaissances. On ne peut pas tout savoir et c’est ok, un petit exercice de modestie ne fait jamais de mal ! Il n’empêche qu’en tant qu’intervenants, même assis sur une chaise au même niveau que le public, on occupe une position d’autorité.

Quoi qu’on fasse, beaucoup de formats ne permettent pas de s’extraire totalement d’une logique verticale descendante. Le vertical, c’est la modalité par défaut, celle à laquelle on a été habitués à l’école, celle selon laquelle fonctionnent les médias, celle que les chercheurs pratiquent dans leur milieu professionnel. On la reproduit sans y penser ou presque. En sortir nécessite de repenser les dispositifs, de proposer un vrai pas de côté… que les professionnels de la culture scientifique me semblent être nombreux à faire !
Quand j’ai débarqué dans ce milieu, fraîchement sortie de ma thèse et armée d’une petite expérience en animation d’ateliers et réalisation de vidéos pédagogiques, avide de dialogue mais confortablement installée dans un modèle de diffusion verticale, j’ai eu la chance d’être recrutée par le Groupes TRACES. Comme l’indique très bien son site, cette association met un point d’honneur à s’interroger sur ses pratiques et à tenter des trucs, en considérant les sciences comme un objet social, source d’interactions potentielles. C’était le contexte parfait pour me rendre compte de tout ce qu’il me restait à apprendre sur mon nouveau métier.
Pour vous donner un exemple de dispositif de vulgarisation horizontal, j’ai rapidement été amenée à animer des ateliers de « créativité technique » (inspirés du Tinkering développé par l’Exploratorium de San Francisco). Le principe est simple : on donne du matériel aux gens (pics à brochette, petits moteurs, blocs de polystyrène, scotch, ballons, boîtes en carton, morceaux de bois…) et on leur propose un défi à relever. Par exemple : fabriquer un objet qui gribouille, ou qui puisse remonter un plan incliné, ou qui tienne en équilibre sur un cure-dent. Et… c’est tout. Pas de consigne particulière. Chacun met les mains dans le cambouis et tente de bricoler quelque chose.
Quand on m’a demandé de relever moi-même un de ces défis en formation, j’ai un peu paniqué en me demandant comment j’allais pouvoir animer des ateliers pareils alors que j’étais incapable d’imaginer mes propres solutions… Ce qui montre bien que je n’avais rien compris à l’exercice. On ne me demandait pas de donner des éléments de réponse, on me demandait d’installer un cadre et de servir d’intermédiaire entre les participants. La source du contenu ce n’était pas moi, c’était le public.
Bon, ça demande quand même d’avoir quelques notions de physique sous le coude, mais ce que j’ai surtout dû apprendre c’est une autre approche de la pédagogie. Savoir lâcher prise, accepter de ne gérer ni le timing ni le contenu, m’adapter sans cesse aux sollicitations des participants et trouver des façons de créer du lien humain, de motiver tel enfant à se faire confiance et à essayer des choses, d’inciter tel groupe à partager ses astuces avec les autres… Ces ateliers peuvent durer une heure ou un après-midi, voire être réalisés sur un stand avec du public qui circule, et s’adresser à des enfants ou des adultes. Ce qui compte ce n’est pas qu’en repartant ils en sachent plus sur la notion d’équilibre ou de portance. Tant mieux s’ils apprennent des petites choses, mais l’essentiel c’est qu’ils aient passé un bon moment en faisant des sciences, qu’ils se soient surpris eux-mêmes et qu’ils aient échangé avec les autres participants.
Mon meilleur souvenir de créativité technique, c’était un créneau d’après-midi sur lequel venaient des familles et où on avait lancé le défi « construisez une machine qui éclate un ballon quand on tire sur une ficelle ». Les parents et grands-parents qui amenaient leurs enfants finissaient souvent par se prendre au jeu et bricoler des choses eux-mêmes. Ce jour-là, deux papas de familles qui ne se connaissaient pas ont fini ensemble, debout sur une table, à scotcher des trucs au plafond en suivant les consignes de leurs proches pour construire une unique machine géante. Je ne sais pas s’ils ont appris des choses. Je ne sais pas comment fonctionnait leur machine. Je ne sais même plus si elle marchait. Mais je sais qu’un défi technique a permis un moment d’échange entre des inconnus et a créé des émotions.
N’est-ce pas aussi ça, la « culture scientifique » ? Faire des sciences une source d’émotions et de lien social, c’est-à-dire un objet culturel.

On est nombreux à se lancer dans la vulgarisation parce qu’on aime ça, sans forcément se demander quels objectifs on cherche à accomplir au-delà de nous faire plaisir à nous-mêmes. Est-ce qu’on veut transmettre des connaissances ? Permettre aux gens de mieux réfléchir ? Continuer à apprendre nous-même ? Susciter des émotions ? Désacraliser les sciences ? Est-ce qu’on considère notre audience comme « un public » ou comme « des citoyens » ? Il n’y a pas forcément de bonne ou de mauvaise réponse à ces questions, mais il me parait important de se les poser. Parce que, selon ce qu’on y répond, certains dispositifs de vulgarisation seront adaptés, d’autres beaucoup moins. Ce n’est pas uniquement par manque de temps que je délaisse ma chaîne YouTube…
Les ateliers de créativités techniques ne sont qu’un exemple de dispositif horizontal parmi d’autres. Des endroits sont carrément dédiés aux approches qui mettent les participants au cœur des projets, voire mettent les projets entre les mains des participants, depuis le choix des sujets à traiter jusqu’à la réalisation finale. Les fab labs, living labs et autres tiers lieux en sont de bons exemples. La posture du médiateur peut y évoluer pour basculer de la vulgarisation, c’est-à-dire la transmission de connaissances, à la facilitation : la création de liens et d’une atmosphère voire d’une logistique favorisant la créativité.
Les sciences et techniques ne sont plus forcément au cœur de ce type de dispositifs mais elles peuvent y jouer des rôles importants. Notamment en tant que points de départ de réflexions, ou comme outils au service de la résolution de problèmes plus larges. Le projet E-FABRIK, également porté par TRACES, met par exemple le numérique au service du lien social en rassemblant des jeunes et des personnes en situation de handicap pour imaginer et mettre en œuvre des solutions concrètes. La médiation scientifique s’inscrit alors dans la continuité de la médiation sociale, sans qu’il n’y ait de frontière nette entre les deux. Elle se rapproche également de la philosophie de l’éducation populaire, qui, comme le synthétise un extrait également cité dans la vidéo de Bolchegeek, consiste à : « [prendre] comme point de départ les expériences, les situations, les questionnements de chacune et de chacun [et mettre] en commun tous ces savoirs, sans instaurer de hiérarchie de valeur entre ces connaissances ». La verticalité a disparu.
Paradoxalement, même si l’état d’esprit de départ est radicalement différent, on retrouve aussi dans la médiation scientifique des dispositifs horizontaux et participatifs inspirés de techniques de management aux noms jargonneux, comme le design thinking. Il s’agit globalement d’approches de conception créatives, qui permettent d’accompagner un groupe dans la construction d’une réflexion collective voire de l’amener à produire un contenu. A grand renfort de post-its, d’accessoires aussi incongrus que de la pâte à modeler ou de contraintes soigneusement choisies, l’idée est de mettre en place un contexte propice à faire émerger les idées, qui doivent venir des participants eux-mêmes.

Il y a souvent un côté ludique dans ces approches, qui sont devenues un incontournable des rencontres professionnelles de la vulgarisation scientifique. C’est tellement fréquent que ne suis plus capable de compter à combien d’ateliers de ce genre j’ai participé (et j’en ai moi-même organisé quelques-uns). Aussi bien en « physique » qu’en distanciel d’ailleurs, pas mal d’outils numériques s’y prêtent parfaitement. J’en suis parfois sortie circonspecte et j’ai parfois trouvé ça super : on peut vraiment en faire quelque chose d’intéressant mais ce n’est pas un « outil magique » pour autant.
Tout d’abord, comme beaucoup de formats horizontaux, cela s’adresse à un public plutôt restreint. Si vous voulez faire travailler les gens en groupes et les accompagner pendant le processus, chaque animateur ne peut gérer que quelques dizaines de personnes, voire moins selon le degré de suivi nécessaire. Ensuite, pour que cela marche, il faut que les participants aient un intérêt à réfléchir au sujet de l’atelier. Difficile d’inciter le public à s’impliquer sur un thème déconnecté de son quotidien ou de ses préoccupations. Ce n’est pas pour rien que ce genre d’approche est très utilisé dans les formations professionnelles : si vous venez acquérir des compétences dans un domaine c’est qu’a priori, il vous intéresse.
Mais il y a peut-être un autre biais : n’aurait-on pas tendance à mettre des formats horizontaux en œuvre plus facilement dans un contexte professionnel précisément parce qu’on suppose que des professionnels sont plus à même que du « grand public » d’avoir les connaissances et compétences nécessaires pour alimenter un format horizontal ? Honnêtement, je n’en sais rien. Peut-être que ça vient juste de mon biais d’échantillonnage personnel. (Mais je me suis posé la question en écrivant cet article et, si quelqu’un a des éléments de réponse, ça m’intéresse !)
De fait, il existe aussi de nombreux projets qui se développent en s’appuyant sur les savoirs et les observations des citoyens, comme E-FABRIK que j’évoquais il y a quelques paragraphes. Certains ont pour but de produire des contenus de vulgarisation, d’autres, comme les sciences participatives (que je connais moins bien), cherchent plutôt à produire des connaissances. Ça peut être géré de façon plus ou moins verticale, mais c’est aussi une façon de reconnaître les compétences de chacun, au lieu d’assimiler le public à une masse ignorante. Se pose alors la question de la reconnaissance et de la valorisation du travail fourni, qui n’est pas évidente à gérer.
Tout ça pour dire que, même si c’est la norme sur YouTube et le premier réflexe de la plupart des autodidactes, je pense qu’on a collectivement intérêt à casser l’image de la vulgarisation comme étant une transmission verticale et descendante de connaissances. C’est une façon de faire, qui a ses avantages, mais c’est très loin d’être la seule. Et comme ce n’est pas ma préférée, j’avais envie de parler un peu du reste (et je me suis emballée, désolée pour la longueur de cet article).
(Re)sources :
- Notice de Gaëlle Crenn, maîtresse de conférences au Centre de Recherche sur les Médiations, sur la vulgarisation (perspective historique, critiques et évolutions de la démarche)
- Splendeur et décadence de la vulgarisation scientifique, Bernadette Bensaude-Vincent, Questions de communication, 2010 (comparaison des régimes de communication scientifique, leurs présupposés, leurs enjeux et leur évolution au fil du temps)
- Espace public et culture scientifique, Khosro Maleki, Sciences de la société, 2014 (analyse de l’évolution de la participation du public dans les relations entre sciences et société)
- Communicating Science Effectively : riche synthèse des Académies nationales américaines parue en 2017
- Intégrer les sciences sociales à la formation scientifique, article de Julie Godbout et Chantal Pouliot pour l’ACFAS, présentant des alternatives au modèle du déficit
- Rapport de 2016 sur les sciences participatives en France
- Répertoire de projets de sciences participatives