Entre art et science : les planches

Après un article sur la vulgarisation en BD, un article musique et vulgarisation et plusieurs longs mois beaucoup trop remplis à mon goût qui ne m’ont pas laissé le temps d’écrire la suite, il est temps de redonner vie à ce blog et de clôturer ma série de billets sur les dispositifs art et science en parlant du domaine artistique qui m’est le plus familier : le théâtre.

Il faut être honnête, je risque de manquer un peu d’objectivité sur ce coup : je fais moi-même du théâtre depuis plus de quinze ans. A un déménagement pour suivre mon conjoint près, mon chômage post-thèse aurait pu déboucher sur une inscription au cours Florent plutôt que sur la création de ma chaîne YouTube et l’idée de tout plaquer pour devenir comédienne me trotte toujours dans un coin de la tête.

D’ailleurs, mon tout premier projet de vulgarisation personnel était une pièce de théâtre ! Il me restait à peu près un an et demi avant de finir ma thèse lorsqu’un bâtiment notamment dédié à la vulgarisation scientifique a été inauguré juste à côté de l’institut dans lequel je travaillais : Genopolys. J’y ai découvert la médiation scientifique en faisant écraser des bananes à des élèves de primaire pour la Fête de la science mais j’ai aussi constaté, pendant les conférences d’inauguration, que l’amphithéâtre dans lequel elles avaient lieu ressemblait quand même beaucoup à une salle de théâtre…

Photographies montrant la salle nue et préparée pour une représentation théâtrale.
Photos de l’amphithéâtre de Genopolys, prises pendant la première répétition et pendant la première représentation.


J’ai commencé à discuter de l’idée de monter une pièce de théâtre de vulgarisation dans cette salle avec quelques personnes pour avoir leurs avis, mais sans trop y croire. La dernière année de thèse est rarement le meilleur moment pour se lancer dans un gros projet très chronophage et sans aucun lien avec sa recherche. Mais un des chercheurs avec lequel j’en avais discuté a été emballé par le projet et est allé en parler à tout le monde, y compris le directeur de Genopolys et mon directeur de thèse. Qui ont plutôt apprécié l’idée. Et voilà, c’était lancé, merci Vincent ! (Si tu lis cet article un jour.)

Je me suis alors posé la question qui était le point de départ de cette série d’article : comment réussir un projet art et science ? J’avais bien moins de recul sur cette pratique à l’époque qu’aujourd’hui mais mon avis a finalement assez peu changé. Mon objectif était de monter une pièce de qualité sur le plan artistique et de lui faire porter un message pédagogique intéressant. Mais lequel choisir ?

A alors commencé un travail de recherche du texte qui démarrait mal parce que je ne savais ni ce que je voulais, ni où chercher. Heureusement le coup de foudre a été rapide : la deuxième pièce que j’ai lue à l’époque était La vie de Galilée, de Brecht, et j’ai décidé tout de suite que ce serait celle-là. Une pièce susceptible de durer plus de 3 heures, nécessitant une bonne vingtaine de comédiens au minimum et qui n’était pas (à l’époque) dans le domaine public, c’était vraiment l’idéal pour un projet bénévole et amateur, non ?

Non, en effet. On peut même dire que ça a l’air carrément idiot. Mais le message pédagogique, lui, était parfait. A travers la vie de Galilée, c’est une pièce qui parle du fonctionnement de la recherche, de la démarche d’investigation, de la gestion des institutions, des moyens de s’adresser au grand public et de comment composer avec des autorités déconnectées de la science.

Vous voyez, même en cette année si particulière qu’est 2020, ça marche toujours.

Photo prise pendant une représentation. Galilée échange avec deux professeurs peu commodes.
Photo prise pendant une représentation de la scène 4 de La vie de Galilée. Celui-ci (au centre) essaye d’intéresser à ses découvertes des savants florentins qui se concentrent sur une théorie ancienne pour éviter d’être confrontés à des faits nouveaux.


Mais ce qui m’a surtout attirée c’est la façon dont ce contenu était abordé. Sans jugement, sans manichéisme, sans donner ouvertement tort ou raison à certains protagonistes. En somme, en faisant ce qui est pour moi au cœur de la médiation : donner des éléments d’information et laisser le public se forger sa propre opinion.

Si je prends le temps de vous parler de ce projet avec autant de détails, ce n’est d’ailleurs pas juste parce qu’il me tient à cœur. C’est surtout parce que le texte de Brecht m’a fait découvrir une approche qui permet de donner une grande force à la vulgarisation par le théâtre. Sans rien sacrifier sur le plan artistique, avec des personnages forts et attachants, on peut profiter d’une pièce pour exposer des éléments et susciter des questions chez le public sans y apporter de réponse ferme.

Dans ce cas le public n’est pas passif, il est acteur de sa propre réflexion. J’avais décidé de pousser ça un cran plus loin dans Galilée 2.0 (car c’était le nom du projet). La pièce était intégralement jouée par des personnes liées au milieu de l’enseignement supérieur et de la recherche, y compris le rôle principal, tenu par un comédien professionnel qui donnait aussi des vacations en informatique à l’université. Et chaque représentation était suivie d’un moment d’échange convivial au cours duquel le public pouvait interagir librement avec les comédiens, qui avaient leur propre expérience du fonctionnement de la recherche sur lequel la pièce suscitait des réflexions.


Flyers de Galilée 2.0
Flyers annonçant les représentations de Galilée 2.0 prévues pour la Fête de la science 2014.


L’idée était que le public puisse, à chaud, poser des questions ou partager des raisonnements avec les comédiens, familiers du sujet concerné. Je trouvais ça super mais en pratique ça n’a jamais très bien marché après les représentations de la pièce entière. Et pour cause ! Même en ayant retravaillé le texte pour le raccourcir, le concentrer sur le message qui m’intéressait et pouvoir le jouer avec moins de quinze comédiens, la pièce restait un beau morceau de deux heures.

J’ai eu l’occasion de discuter du fonctionnement de la recherche et de la démarche de notre troupe avec certains spectateurs, mais la plupart d’entre eux avaient surtout envie de complimenter les comédiens sur ce qu’ils venaient de jouer. Ce qui était une forme de réussite, vu le défi que représentait une telle pièce pour une troupe d’amateurs, mais plus sur le plan artistique que sur le plan de la vulgarisation.

En revanche il y a eu plusieurs échanges intéressants après des présentations d’extraits du spectacle, notamment à des lycéens dans le cadre de la Fête de la science. Signe que, si on veut laisser le temps au public de participer après une représentation, il ne faut pas l’assommer avec quelque chose de trop long, même si de bonne qualité !

Il y aurait encore beaucoup à dire sur Galilée 2.0. C’est un projet qui a mobilisé un certain nombre de musiciens pour créer une bande son originale intégralement construite autour d’une mélodie récurrente et qui a donné lieu à une exposition. C’est aussi un projet sur lequel j’ai beaucoup appris puisque je me suis occupée de tout (sauf de monter sur scène pour jouer, partant du principe qu’on ne peut pas diriger efficacement des acteurs et avoir du recul sur une mise en scène en étant soi-même sur scène) : travail du texte, direction artistique mais aussi logistique, recherche de dates, location de matériel, gestion de la régie, recherche et gestion de financements, création de l’intégralité des supports de communication etc.

Coulisses de théâtres où l'on voit des costumes et des accessoires.
Coulisses pendant une représentation de Galilée 2.0.


C’est surtout un projet qui a pris plus d’ampleur que je ne l’avais imaginé car la troupe, montée sans structure particulière à l’époque pour un projet ponctuel, est devenue une association, Galilée 3.0, qui en est à son troisième spectacle ! A défaut d’avoir réussi à engager le public autant que je l’aurais voulu, j’ai au moins la satisfaction d’avoir durablement motivé les comédiens, ce qui n’était pas gagné vu la quantité de travail que je leur ai demandé, encore merci à eux !

Cet article commence à être long, désolée, mais en fait l’essentiel est dit : je trouve qu’il est tout à fait possible de réussir des projets de vulgarisation par le théâtre, mais cela implique de trouver un bon équilibre entre ce qu’on dit et ce qu’on laisse ouvert à réflexion et de ménager un espace pour que le public puisse s’emparer du contenu.

Tout ça est évidemment plus facile à écrire qu’à faire et peut être développé à des degrés différents. Le théâtre forum est un exemple extrême : c’est une démarche plus proche de l’atelier que de la performance artistique, au cours de laquelle le jeu théâtral est utilisé comme un outil pour permettre aux participants d’incarner différents rôles dans des situations liées aux problématiques sur lesquelles on souhaite les faire réfléchir. Comme pour les jeux de débats, la dimension artistique est ici relativement réduite, mais le théâtre devient un puissant outil de médiation grâce auquel le public lui-même s’exprime.

Théâtre antique grec.
Photo du théâtre de Dionysos, à Athènes, préparé pour la représentation d’un opéra.


Entre Galilée 2.0 et ces démarches-là on trouve tout un éventail d’approches, qui répondent à des objectifs différents et ne s’adressent pas aux mêmes publics. L’humour, qui suscite des émotions, est un levier intéressant pour la vulgarisation qui est facile à mobiliser dans le cadre du théâtre. L’approche du stand up est par exemple exploitée de façon très réussie par la troupe du Science Comedy Show, de Toulouse. Je vous laisse apprécier quelques extraits joués pendant l’édition 2018 du forum NIMS : ici et .

Les Vulgaires, à Lille, font carrément créer des saynètes à des chercheurs pour leur cabaret des sciences, avec de super résultats. Et on voit de plus en plus d’endroits proposer des soirées de type « improsciences », mêlant conférences de vulgarisation et théâtre d’improvisation, comme l’Eurêkafé de Toulouse.

Si on embrasse le théâtre dans toute sa diversité, finalement, les soirées Ma thèse en 180 secondes peuvent aussi être considérées comme des initiatives théâtre et science : charge à chaque participant de créer son univers, son scénario et d’ajuster au mieux son contenu scientifique et son charisme sur scène. Dans l’absolu, il y a un peu de théâtre dans chaque conférence donnée face public ou dans les formats de type science show. Même si les médiateurs n’y jouent pas de personnages, ils font appel à des compétences scéniques proches de celles des comédiens.

Enfin, même s’il est difficile d’en profiter à distance, Galilée 2.0 n’est évidemment pas le seul projet à essayer de trouver un équilibre entre vulgarisation et pièce de théâtre. On peut citer Tout le monde descend, une comédie sur l’évolution notamment jouée par Marie-Charlotte Morin, ancienne gagnante de MT180. Ou les spectacles de clowns de science portés par les Atomes Crochus, qui mêlent théâtre et expérimentation.

Il existe même des structures entièrement dédiées à cette approche, comme le théâtre de la Reine Blanche à Paris, la compagnie Comédie des ondes ou la compagnie Cosmo’Note et ses clownférences. Une liste non exhaustive qui donne envie d’explorer les initiatives existantes… et d’en proposer de nouvelles !

Voilà, après des mois d’attente cette série sur les initiatives arts et sciences prend fin, mais rassurez-vous, il y a encore des tas de choses dont j’ai envie de vous parler ici. A bientôt ?

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